Sport et maternité : Les États-Unis, un élève modèle et inspirant

Une de l’article : Aux États-Unis, les sportives qui veulent se plonger dans la maternité ont des droits plus ancrés. Crédits photo : IStock/Getty Images

La question de la compatibilité entre maternité et carrière dans le sport de haut niveau suscite un débat important à l’échelle mondiale. Si de nombreuses femmes athlètes de haut niveau se trouvent confrontées à des défis uniques en raison des contraintes physiques et temporelles inhérentes à leur métier, les États-Unis se sont distingués en s’imposant en tant que pionniers dans la création d’un environnement favorable à la maternité au sein du sport féminin de haut niveau, mieux encadré et professionnalisé qu’ailleurs dans le monde. Le football (appelé “soccer” aux États-Unis) et le basketball caracolent en tête du mouvement.

Le 17 février 2023, l’équipe de football féminin des Etats-Unis dispute la première journée de la SheBelieves Cup contre le Canada. Après une victoire nette et sans bavure (2-0), Alex Morgan, attaquante emblématique des quadruples championnes du monde, s’avance en zone mixte pour donner une interview d’après-match. Un exercice loin d’être inhabituel pour elle. Seulement, pour la première fois, la jeune femme de 34 ans tient dans ses bras, une invitée un peu spéciale : sa fille Charlie, née le 7 mai 2020. L’anecdote a de quoi faire sourire, tant la fillette peine à cacher son impatience, jouant avec la fermeture éclair d’une Alex Morgan impassible et sérieuse face à la caméra.  

Quelques mois plus tard, elles sont de nouveau réunies lors de la neuvième édition de la Coupe du Monde féminine qui se déroule en Nouvelle-Zélande et en Australie et ne sont pas seules durant ce voyage. Deux autres joueuses américaines sont entourées de leurs progénitures : la défenseure Julie Ertz (31 ans) et l’attaquante Crystal Dunn (31 ans). Ces dernières font partie du club très restreint des 17 footballeuses ayant rejoué en sélection après avoir accouché. Elles bénéficient en plus de dispositions écrites dans la convention de leur fédération dès qu’elles sont conviées par la sélection pour la prise en charge de leur bébé. « Je suis vraiment reconnaissante envers les femmes avant moi qui se sont battues pour les mamans athlètes », déclarait Morgan, passée par l’Olympique Lyonnais, au San Francisco Chronicle. « Joy Fawcett était la pionnière. Elle avait beaucoup moins de ressources et de soutien et a pu devenir championne du monde”.

Alex Morgan, en compagnie de sa fille Charlie. Crédits photo : Alex Morgan/Instagram

Markgraf et Fawcett, premiers symboles d’un modèle qui roule

L’histoire retient Joy Fawcett comme étant à l’origine de cette progression considérable dont les prémisses remontent à presque 30 ans en arrière et à la naissance de son premier enfant en 1994. À l’époque, la défenseuse obtient l’accord de son entraîneur, Anson Dorrance, pour que son nouveau-né puisse l’accompagner durant les entraînements et les matchs. En 1996, à l’approche des Jeux Olympiques d’Atlanta, la United States Women’s National Soccer team (USWNT) acte officiellement l’autorisation pour les joueuses d’amener leurs bébés lors des rassemblements. Trois ans plus tard, mise sous pression par les joueuses, l’institution prend de nouvelles mesures en payant une nounou partagée pour les deux filles de Joy Fawcett et le fils de Carla Overbeck, deuxième joueuse américaine à devenir maman durant sa carrière, lors de la Coupe du Monde 1999 remportée par… les États-Unis. Une initiative de bonne augure pour la suite, mais qui n’assure aucunement le maintien des athlètes au sein de l’équipe. 

Kate Markgraf, directrice générale de l’équipe nationale et ancienne joueuse professionnelle, avait dû se heurter en 2009 à la décision fracassante de son entraîneure, Pia Sundhage, de ne pas prolonger son contrat pour la simple raison que Markgraf venait de donner naissance à deux jumeaux. Elle avait pourtant déjà réussi à revenir au plus haut niveau en remportant l’or lors des Jeux Olympiques 2008 à Pékin après avoir eu un premier fils en 2006. Son avocat parlera de “discrimination liées à la grossesse”. La jeune maman aurait pu se battre en procès et remporter une somme d’argent considérable. Elle a finalement préféré s’engager afin qu’aucune autre sportive ne subisse ce traitement. Cela a donné lieu à la Markgraf Rule (Article 18, Section C). Mise en place par la National Collegiate Athletic Association (NCAA), association sportive universitaire née en 1906, réglementant l’organisation du sport universitaire dans le pays, cette politique oblige les institutions sportives à fournir des adaptations raisonnables pour les athlètes enceintes, telles que des aménagements d’entraînement ou de compétition, des pauses supplémentaires, des options de repos et des services de soutien médical adéquats. Aussi, une joueuse doit recevoir l’intégralité de son salaire durant la grossesse et jusqu’à six mois après l’accouchement. 

S’agissant des évolutions pour une meilleure reconnaissance de la maternité au sein du sport professionnel, la période post-Covid semble avoir été fructueuse. Ainsi, au début de l’année 2022, un nouvel accord historique est signé entre la National Women’s Soccer League (NWSL) et la National Women’s Soccer League Players Association (NWSLPA), le syndicat des joueuses. Il s’agit là de la première convention collective pour la ligue américaine de football féminin. Cette signature fait suite au dépôt d’un recours collectif de 28 joueuses de l’équipe nationale, menées notamment par l’attaquante vedette Megan Rapinoe, qui avait rencontré le Président Joe Biden en personne à la Maison Blanche en mars 2021 afin de défendre l’idée d’une égalité salariale. La numéro 15 de légende jugeait jusqu’alors “discriminatoire” la politique de la fédération américaine de football. “US Soccer s’est engagé à verser un salaire égal à partir de maintenant pour les équipes nationales féminine et masculine lors de tous les matchs amicaux et tournois, y compris la Coupe du monde”, détaillent les termes de l’accord entre les deux parties qui s’étend au minimum jusqu’en 2026. En outre, celui-ci prévoit un congé maternité de six semaines avec maintien du salaire.

Cliniques de fertilité et congélation d’ovocytes

Si de telles mesures ont pu être appliquées, c’est en grande partie grâce aux dispositions prises dans le basketball féminin par la Women’s National Basketball Association (WNBA) en 2019. Cette année-là, la WNBA et son association de joueuses montraient l’exemple en présentant leur nouvelle convention collective (courant jusqu’en 2027 minimum), laquelle inclut en plus d’une augmentation de salaire (passant de 75 000 à 130 000 dollars par an), des congés maternité payés entièrement et la possibilité pour les joueurs vétérans (très expérimentés) d’obtenir jusqu’à 20 000 dollars de remboursement chaque année pour les frais liés à l’adoption, à la gestation pour autrui (GPA), à la congélation des ovules ou au traitement de la fertilité au même titre que l’infertilité.

C’est d’ailleurs la pratique de congélation des ovocytes qui séduit de plus en plus les athlètes professionnelles. Existante depuis les années 1980, elle a longtemps été sujette aux controverses car jugée trop expérimentale. En 2012, survient l’approbation de la Société américaine de médecine de la reproduction (ASRM) en faveur des femmes qui étaient sur le point de subir des thérapies agressives contre des cancers, pouvant compromettre complètement leur capacité de reproduction. L’ASRM (American Society for Reproductive Medicine) a finalement autorisé une utilisation plus répandue de la congélation des ovocytes après la publication d’études rassurantes sur la sécurité et l’efficacité de cette méthode. Dès lors, on a constaté une augmentation de 39 % des congélations d’ovocytes à des fins médicales aux États-Unis entre 2019 et 2021.

Réalisé avec Venngage

Sue Bird, (42 ans) et Breanna Stewart (28 ans) ont toutes deux passé le cap en 2019. Les basketteuses des Seattle Storms font partie des premières femmes sportives professionnelles à avoir eu recours à la congélation d’ovocytes. Bien qu’elles n’aient bénéficié d’aucune aide concrète à l’époque (l’accord promettant une prise en charge est entré en vigueur quelques mois après), leur action à permis de lever le voile sur ce sujet tabou, tout en exerçant une pression suffisante menant à la ratification de l’accord historique. Sue Bird, membre du comité exécutif de la WNBA Players Association déclarait : « Quand vous regardez des choses comme ce que nous sommes capables de faire avec le congé de maternité et la planification familiale… Nous allons  être considérées comme – je pense – des pionnières dans le monde du sport”.

Sue Bird, sous le maillot des Seattle Storms. Crédits photo : Sue Bird/Instagram

Et effectivement, Sue Bird, qui se mariera très prochainement avec Megan Rapinoe, avait vu juste puisque peu de temps après, la NWSL adoptait sa propre convention collective. Mieux, certaines formations ont pris des initiatives : le Racing Louisville FC  est devenu la première franchise de NWSL à proposer des services de fertilité à ses joueuses. Concrètement, la franchise s’est associée dès sa création en 2021 avec le Kentucky Fertility Institute. Celui-ci propose “d’offrir des services gratuits de préservation de la fertilité, notamment la congélation des ovules ou des embryons et le stockage à long terme », indique le Racing Louisville FC sur son site officiel.  

Le partenariat offre aux joueuses de l’équipe la possibilité de fonder une famille avec une interruption succincte de l’activité sportive sur le terrain, soit par GPA, soit par usage personnel à la retraite. “Cet accord a été conclu alors que les questions de santé reproductive et de planification familiale prennent une visibilité accrue dans les sports féminins”.

Sans plus attendre, les Chicago Red Stars et les Portland Thorns, deux autres franchises de NWSL, ont rejoint le mouvement en collaborant elles aussi avec des cliniques de fertilité. Becky Sauerbrunn, défenseuse des Thorns et ancienne capitaine de la sélection raconte avoir eu recours à la congélation de ses ovocytes après que son club a organisé un séminaire sur la santé des femmes : « Ils ont expliqué comment, après 35 ans, il y a une forte baisse de la fertilité et j’étais assise là, à 36 ans, en me disant que j’avais vraiment besoin de m’y mettre, déclare t-elle à USA TODAY Sports. Je dis à mes coéquipières qui souhaitent faire la même chose de ne pas attendre qu’il ne soit trop tard”. 

Au-delà des engagements pris par le football et basket-ball féminin américain, deux sports très populaires, la Premier Hockey Federation (PHF) a également accordé un congé  maternité avec maintien de la rémunération et soutient qu’aucune joueuse ne peut être libérée de son contrat en raison d’une grossesse. 

Becky Sauerbrunn avec sa médaille d’or après la victoire des USA lors de la Coupe du Monde de football féminin, en 2019. Crédits photo : Becky Sauerbrunn/Instagram

Aux États-Unis, sport et maternité ont été médiatisés plus tôt

Depuis quelques années déjà et dans différents sports, les États-Unis apparaissent globalement en avance par rapport aux autres pays, en ce qui concerne l’encadrement de la maternité. D’abord, dans le sens où le processus de professionnalisation et de protection des sportives est plus ancien et plus complet qu’en France, par exemple. Sport et maternité sont deux termes qui apparaissent depuis plus longtemps dans la sphère médiatique américaine. Le site ESPN.com, véritable complément à la chaîne sportive de référence, en a parlé dès novembre 2009 lorsque Paula Lavigne, investie dans le département des enquêtes, a écrit un article intitulé “Les femmes athlètes ne doivent pas rester sur le carreau”

Là-bas, le sujet est mieux connu car les combats liés à la maternité ont eu plus de retentissement. Joy Fawcett, Kate Margraf, Alex Morgan, Crystal Dunn, Julie Ertz, Sue Bird, Becky Sauerbrunn et Allyson Felix sont autant de figures majeures qui ont contribué à une meilleure reconnaissance de la maternité dans le sport. Felix, en portant “une voix puissante” a fait bouger les lignes en obligeant le gigantesque équipementier Nike à remettre en question sa ligne de conduite. Grâce à elle, depuis 2019, les athlètes sous contrat avec la célèbre marque à la virgule qui viennent d’avoir un enfant gardent intacts les bénéfices financiers octroyés par leurs contrats de sponsoring pendant 18 mois et “ne pourront plus être pénalisés financièrement après avoir accueilli un enfant”.

Transposer le modèle américain en France passera par la professionnalisation

Comme évoqué précédemment, les États-Unis et leurs sportives engagées se sont saisis plus tôt des enjeux liés à la maternité et ont obtenu de claires avancées sur le plan juridique et social durant ces dernières années. D’un côté, le grand nombre de joueuses qui ont retrouvé le chemin de la performance après la naissance d’un enfant a participé à réduire les inquiétudes autour de la baisse de compétitivité. De l’autre, les cliniques de fertilité et la congélation d’ovocytes deviennent de réelles possibilités pouvant se révéler intéressantes pour une athlète. Néanmoins, malgré la médiatisation et les progrès de plus en plus importants de la médecine, quelques limites existent car cette pratique ne garantit en aucun cas que les ovocytes pourront être fécondés par la suite : des complications peuvent arriver à tout moment du processus, entre la décongélation, la fécondation et le transfert dans l’utérus, rendant les gamètes inexploitables. Pour cette raison, il est conseillé de faire congeler plusieurs ovocytes afin d’augmenter les chances de fécondation (entre 15 et 20). 

De surcroît, si la France veut devenir aussi bon élève que les États-Unis, il faudra poursuivre la médiations et diffuser la parole des athlètes. Les différentes fédérations sportives devront aussi se montrer plus fermes en aidant à professionnaliser leur discipline afin d’instaurer plus de réglementation, notamment par la création de conventions collectives. Parce qu’une maman sportive de haut niveau heureuse est une sportive compétitive. 

Par Léo Olivieri et Alex Renaud-Bourbon. Propos recueillis par A. Renaud-Bourbon et Léo Olivieri. 

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